Rifle Model of 1841 par Eli Whitney Jr

Bonjour à tous,

Comme vous le savez, je pratique le tir aux armes anciennes (et aussi des plus récentes), principalement dans les disciplines à l'arme longue à 50 et 100 mètres. (Sébastopol / Lamarmora et Pontcharra / Minié) .
Jusqu'à présent, j'utilise la réplique Euroarms du Mississippi ou l'Enfield 2 bandes Naval Pattern de chez Parker hale.

Or, il y a un petit moment, j'ai pu mettre la main sur la réplique du Rifle Model of 1841 version Whitney sur base Euroarms mais à canon Hege.

Dit comme ça, c'est un peu compliqué alors je vais expliquer.

Mais avant tout, voici un aperçu de l'arme.
On note immédiatement que l'apparence générale rappelle les fusils français, notamment la forme de la crosse et des garnitures, hormis  la patchbox typiquement américaine.
Cette influence disparaîtra lors de la Civil War et les armes US reprendront le style anglais des Enfields. :



Le rifle model of 1841, alias Mississippi Rifle a été dessiné à l'arsenal de Springfield, et fut aussitôt mis en fabrication à l'arsenal de Harper's Ferry.
Le fusil était ultra-moderne à ce moment-la, conçu d'emblée à percussion, avec un canon rayé de petit calibre et de longueur réduite.
Le fusil donna toute satisfaction, notamment lors des combats contre le Mexique ou sa précision a stupéfié à une époque ou les "muskets" de l'armée tiraient une grosse balle ronde sur un canon lisse.
Cependant, comme la production de Harper's Ferry patinait un peu, il fut fait appel à l'industrie privée.
C'est ici qu'intervient un personnage très célèbre aux USA, à l'égal du "colonel" Colt : Eli Whitney Jr.
Cet ingénieur mécanicien, était le fils d'Eli Whitney (père) armurier déjà fort connu.
Eli junior a donc grandi au milieu des forges, des enclumes, des marteaux et des canons de fusils.
Dès 1842, Eli Whitney Jr reçoit un contrat pour la fabrication de 20.000 Rifles Model of 1841, le fameux Mississippi, que Springfield avait du mal à produire. Whitney put mettre en pratique ses compétences dans la fusion de l'acier, ce qui était une énorme innovation.
Les fusils sortant de chez Whitney sont marqués de son nom et de l'année de fabrication.
Ils seront progressivement modifiés en cours de fabrication : en particulier hausse réglable et directrice de baïonnette.
Cependant, ils conserveront le calibre .54 et le canon rayé.
Voilà pour l'origine.


Dans les années 70, c'est Antonio Zoli qui produit d'abord une jolie réplique du Mississippi.
Mais ce sera surtout Euroarms of America qui commercialisera longtemps une très belle fabrication reprenant point par point les détails du Mississippi originel : canon à 7 rayures, cal .54, bronzage tabac. La production prendra fin vers 2009 lors de la liquidation d'Euroarms.
Or, vers la fin des années 90, il semblerait que, pour le marché allemand, Euroarms ait demandé à Hege, fabricant allemand de canons de précision pour répliques à poudre noire, de lui fournir un certain nombre de canons faits selon ses méthodes de martelage à froid.
De fait, le canon Hege diffère du canon Euroarms par le profil carré de ses rayures bien plus profondes et par le nombre de rayures : 8 au lieu de 7. Le canon est bronzé noir brillant et porte une hausse du type Enfield (à embase fixe) à la place du cran de mire simple.
Pour simplifier les choses, sur le mien, la hausse a été déposée et un cran de mire monté sur queue d'aronde mis à sa place.
Pourquoi ces spécificités ? À mon sens, Hege a simplement reproduit un Mississippi fait chez Whitney, y compris la platine à linguet de type Enfield.


La platine et ses marquages spécifiques, y compris le lieu et l'année de fabrication. Notez que le sigle US remplace l'aigle qu'on trouve sur le Misssissippi Euroarms :


L'intérieur de la platine, on voit bien le linguet mobile de la noix servant à masquer le cran de sécurité au lâcher. Ce système est d'origine Enfield et n'a pass été reproduit sur les fusils Euroarms purs.


La contre platine, et aussi le marquage allemand Kal 54 et le n° de série de Hege. En dessous, les poinçons de Gardone, réglementaires en Italie :


Le dessus du canon, on voit bien le montage à queue d'aronde du cran de mire, mais aussi le bronzage noir brillant.
Comme pour la platine, les ajustages sont hyper serrés.


Le cran de mire, une simple équerre avec son cran en U ouvert, très confortable. Ce cran de mire ajustable latéralement est taillé pour le tir à 100 mètres, mais surtout il est beaucoup plus utile que la hausse à planchette et gradins dont l'embase est fixe.


L'embouchoir (de style français) en laiton et le canon rond.


La bouche du canon montrant les rayures très profondes et anguleuses. Le guidon sur embase arrondie est fixe.
On remarque l'épaisseur des parois du canon ...


Hege fournissait avec l'arme des tronçons de ses canons, voici l'un de ces tronçons montrant bien l'architecture des rayures :


Un aperçu de la plaque de couche, à nouveau l'influence française est évidente :


Le fusil était accompagné par un moule et deux calibreurs, l'un en .540, l'autre en .541.
Surprise, le moule était celui-ci :


Un moule Hensel, c'est à dire la Rolls des moules avec sa barrette retenant le plongeur ! (Valeur 200 €)

Ce moule sort des ogives en .547,5 soit 13,90 mm, de 493 grs ou 32 g.


Voici le carton d'un tir de prise en mains, selon la discipline Sebastopol à bras francs à 50 m sur C50 (En rouge, les impacts comptés) :

Le pointage est légèrement sous le visuel, c'est pas vraiment agréable, mais ça va le faire. Clairement l'arme est faite pour tirer à 100 mètres.
Enfin, la charge est de 2,45 g. de S2, ce qui est plutôt peu comparé aux charges de mon Volunteer en 451 avec 1 g. de mieux. Sobriété. Efficacité.

Avant de conclure, voici le Whitney comparé avec mon Mississippi Euroarms pur :


Gros plan sur les platines:


Extérieurement, les deux fusils sont quasi identiques, hormis le bronzage noir du Whitney, la forme du cran de mire et les marquages de la platine. Tous deux ont une belle monture en noyer rouge et des garnitures en laiton.


Au final, un fusil incroyable de stabilité avec ses 4,97 kg.
L'arme monte toute seule en joue, le bras gauche placé loin pour pousser la crosse dans le creux de l'épaule, l'arme tient déjà très bien, la main droite détendue au maximum juste pour tenir la poignée, affiner le pointage et lâcher le coup.
Les organes de visée sont bien proportionnés et bien nets.
La détente est plutôt directe et sensible, ça ne gratte pas et, au départ du coup, une légère ruade, il monte très peu.

J'allais oublier : ce fusil qui a quand même près de 20 ans est resté à l'état quasiment neuf, bronzage brillant, aucune usure, monture impeccable.
Au passage, je vais pouvoir revendre l'Enfield 2 bandes et le Mississippi Euroarms ...

Voilà.
Lorsque j'aurai bien maîtrisé le fusil à 50 mètres, je le tirerai à 100 mètres sur les coudes en position couché selon la discipline Pontcharra / Minié. Un autre challenge passionnant.

J'espère vous avoir intéressés.

Bonne soirée


PS : faites un tour sur ces pages passionnantes : https://www.eliwhitney.org/museum/eli-whitney/family

très bel exposé comme d'habitude merci
a+ jm

je ne connaissais pas mais bravo pour les rayures ...
bonne pioche St

Superbe reproduction qui, entre de bonnes mains (les tiennes, en l'occurrence) va sûrement "faire des étincelles"

En tous cas, elle te donnera sûrement beaucoup de plaisir, et c'est là l'essentiel

Je viens de relire quelques pages consacrées au Mississippi Rifle.

Car j'ai omis d'exposer : pourquoi ce fusil s'appelle "Mississippi" ?

Ça remonte à la guerre de 1846 - 1848 des USA contre le Mexique.

En février 1847, lors de la bataille de Buena Vista, l'armée US était en grande difficulté face aux mexicains commandés par le général Santa Anna.
L'intervention du 155e Régiment d'Infanterie du Mississippi du Col. Jefferson Davis permit aux américains d'échapper à un désastre prévisible vu le rapport des forces : 5.000 hommes contre 20.000.
La précision des tirs du régiment du Mississippi qui venait juste de recevoir les fusils Rifle Model of 1841 venait de montrer la supériorité du fusil rayé sur le mousquet lisse et encore à silex.
L'arme acquit à la fois le surnom de "Mississippi Rifle" et une énorme réputation d'efficacité.
Les riflemen survivants de ces combats furent démobilisés ... et on leur offrit de racheter leur "mississippi" personnel pour une somme modique, mais cependant pas si symbolique puisque certains vétérans virent leur pension amputée du montant du prix.

Trouvé sur wikipedia, cette illustration du combat de Buena Vista :


Auréolé d'un certain prestige, le colonel Jefferson Davis entama une carrière politique et fut le premier et dernier Président des États Confédérés lors de la Civil War.

Autre précision, les chiffres des fabrications du fusil 1841 entre 1844 et 1855 par établissements :
Eli Whitney : 27.600
Harpers Ferry Armory : 25.207
Robbins & Lawrence : 15.000
E. Remington : 10.000
Robbins, Kendall & Lawrence : 10.000
George W. Tyron : 5.000
Total : 92807 fusils

Bon dimanche !