Pour changer du suisse : du français bien gras.

Amis collectionneurs, je viens vous présenter ce fusil très connu et pourtant celui-ci est "étonnant" :



À toute première vue, il s'agit évidemment d'un beau bon vieux Fusil d'Infanterie Modèle 1874 Gras.

Sauf que celui-ci est sans la moindre indication de modèle ni de manufacture, sans numéro matricule ni aucun poinçon de contrôleur réglementaire.
Juste quelques tout petits marquages et poinçons qui en font un fusil ... totalement civil.
Il mesure 1,31 m, son canon fait 0,83 m depuis la tranche du tonnerre.
Il pèse 4,250 kg avec la bretelle.



Le fusil est resté en excellent état, pour ne pas dire qu'il est quasiment neuf, surtout l'intérieur du canon et sa culasse mobile.
Le canon a été certainement rebronzé après avoir subi un mauvais stockage, on sent au toucher une légère "peau d'orange".
La monture est en noyer avec par ci, par là, quelques traces, rayures ou petits chocs. Globalement très propre.


Le boîtier côté gauche culasse ouverte. Arêtes vives, état de surface nickel :


Sous la hausse se trouve le seul marquage significatif visible sans démontage : le poinçon des armuriers de Saint-Etienne :


Le boîtier vu de dessus, culasse fermée :


Le boîtier à droite, culasse ouverte, on voit nettement les fraisages internes de la modification de 1880.
La manœuvre de la culasse montre une fabrication très ajustée, bien serrée : il n'y a absolument aucun jeu :


La culasse mobile retirée montre qu'elle porte le chiffre 1 poinçonné sur la tête mobile, sur le cylindre et sur le chien;
Remarquons aussi que le levier a noirci, la transpiration de l'utilisateur à marqué l'acier :


La culasse démontée. C'est serré à tel point que le percuteur, collé par la graisse, a eu du mal à sortir.


La hausse mobile retournée vers l'avant pour montrer la double échelle des distances, graduée en hectomètres.
À gauche, l'échelle pour le cran mobile inférieur donnant les portées entre 350 et 1300 mètres.
À droite, l'échelle pour le cran supérieur de la rallonge donnant les distances de 1400 à 2000 mètres.
Cette hausse est évidemment difficile à utiliser pour le biffin de 1880. Ainsi, lorsque le tir est ordonné pour la distance de 800 mètres, notre fantassin doit choisir le bon cran de mire sachant qu'il en y a 4 superposés devant ses yeux :


La crosse du fusil ne porte ni macaron ni matricule.
Le bois a été taché près du bec de crosse.
C'est le signe que la plaque de couche a été anciennement rouillée, là encore la marque d'un mauvais stockage :


L'embouchoir, la baguette et le tenon de baïonnette.
Il faut noter que la grenadière et l'embouchoir sont polis blanc et semblent n'avoir jamais été bronzés.
Le guidon, de bonne taille, monté à queue d'aronde fait saillie de 5 mm sur son embase :


La bouche du canon. Très épaisse, plus en tout cas que celle du Gras 1874 d'un collègue.
Le diamètre du tube est de 17,90 mm à la bouche. Le diamètre intérieur de deux baïonnettes 1874 est de 17,45 ou 17,51 mm.
On ne peut pas fixer de baïonnette 1874 sur ce fusil !

On visualise bien le guidon triangulaire et son embase : angles bien vifs, aucune usure
L'intérieur du canon montre les quatre rayures nettes et bien marquées.
La photo prise à la lumière du jour le rend mal, mais c'est miroir et sans le moindre accident :


La chambre et la naissance des rayures : angles nets et, à nouveau, aucune espèce d'usure.
Là encore, on note l'état interne du canon et des rayures  :



Voici les marquages relevés sous le canon.
Tout d'abord la marque du canonnier, un certain E. Block de Saint-Etienne.
La mention du calibre : 11,0 (mm).
Le trait au burin d'alignement du boîtier et du canon.
Sous le canon et le boîtier sont répétés le chiffre 1 déjà relevé sur les pièces de la culasse :


À l'intérieur de la monture nous voyons l'inscription manuscrite au crayon "N° 1" ainsi que le même minuscule poinçon 1 :



Ce fusil est une énigme, décrit nulle part (Huon, Boudriot ...).
De fabrication très soignée, l'intérieur est en meilleur état que l'extérieur qui a subi les marques d'un usage qui a dû se limiter à des manipulations.
Le canon et la culasse mobile sont restés à l'état neuf et sans usure.
Il a sans doute été assemblé par monsieur Block de Saint Etienne, après qu'il ait racheté diverses pièces à la Manufacture.
Mais pièces rebutées ou pas ?
Par exemple, le canon est trop épais et ne peut recevoir la baïonnette 1874. Pour cette dimension trop large, le canon a été refusé par le contrôleur qui a sans doute et en même temps "mis dans le même sac" la culasse mobile.
Pour le reste, il chambre et éjecte parfaitement les cartouches d'origine.
A mon humble avis, il a été fait après 1880, et avant 1886 ...

M. Block a pris soin de numéroter à l'identique les principales pièces de l'arme.
Comme c'est toujours exactement le même poinçon 1, l'arme est complètement homogène.
S'agit-il de son premier exemplaire au vu de son numéro 1 ? Il en a fait combien ?
En tout cas, ce n'est pas un de ces Gras commercialisés très longtemps par la Manufacture Française d'Armes et Cycles de St Etienne, car il ne porte pas le marquage caractéristique apposé sur le canon devant la hausse.

Enfin, à quoi donc a servi ce fusil ?
Une société de tir, alors qu'il n'a quasiment pas tiré ... ?
À un "bataillon scolaire" ou il n'a servi qu'à faire de l'ordre serré ... alors qu'on trouvait des "armes factices" faites pour cela ?

Quand à moi, il me reste à refaire une cartouche (les étuis sont prêts) et à l'essayer au tir.
C'est un nouveau challenge.

En guise de tableau final, voici le fusil avec ses cartouches d'origine et une baïonnette Mle 1874 :


Enfin, je ne peux m'empêcher de vous présenter mon arrière-arrière grand-père, Paul Bonnet et son fusil modèle 1874, habitant à Lille, et faisant son service militaire au 8e RI en 1884 :


À bientôt

Hello !
J'ai déjà vu ce fusil quelque part
Il est magnifique!!!! j'en ai eu un de cadet (similaire, sans marquages) dans le même état...et je le regrette!

Il est tout simplement splendide !

Quelque soit son "origine", il est superbe.

Bravo, belle "pioche", Paul

C'est effectivement une très belle arme, avec un poil d'originalité en plus...Bonne pioche!

pour reprendre les mots de Corto, excellente pioche. Par contre ravi de savoir que ton arrière arrière grand-père soit de Lille et ait fait son SN à LILLE au 8 ème RI qui est devenu par la suite le 43 éme RI et dont la caserne se trouvait dans la Citadelle Vauban !!! LILLE est ma ville natale que j'ai quitté à 18 ans pour mon SN dans la Gendarmerie.

Arf, j'ai habité 3 ans à LILLE (quand j'étais "jeune", avec mes parents...ça date un peu)

Puisque Lille semble vous brancher ...

Cet ancêtre, conscrit de 2e classe au 8e RI en 84 s'est finalement trouvé bien dans l'armée.
Le voici 10 ans après, sous l'uniforme de Lieutenant au 315e RI :


Il est le père de ma grand-mère Nelly Bonnet, fiancée avec mon futur grand-père en février 1914.
Nelly aura connu la très dure occupation de Lille, sa famille forcée de loger des allemands, elle-même ayant été à 2 doigts de décéder du typhus en 1917.
Nelly a retrouvé à Lille son fiancé vivant en 1919, démobilisé après une guerre hallucinante dans l'artillerie ou il sera passé de 2e classe à Lieutenant en passant par la crise des obus de 75 en 1915 et moult autres périls.
Ils se sont mariés en 19 et ont eu 4 enfants, dont mon père né en 22.

Mais toutes nos familles ont sans doute connu des épreuves semblables pendant la grande guerre.